Les résultats d’une enquête de l’Ifop sur la corrida montre une opinion des français sans appel.
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Willy Shraen et le “plaisir” de l’acte de chasse
Si les jeux taurins ont leur place dans le temps long de l’histoire européenne, par delà les frontières modernes et les segmentations de traditions qu’on en fait découler, la pratique de la torture et de la mise à mort d’un taureau est récente. Alors qu’on fait remonter à l’antiquité des formes de jeux et de célébrations populaires impliquant des taureaux, c’est à Francisco Romero que l’on doit l’invention du spectacle de la mise à mort, dans la première moitié du 18ème siècle.
Plus de cent ans plus tard, vers 1852, la corrida franchi les Pyrénées, et gagne la France sous l’influence de l’impératrice Eugénie, née en Espagne, à Grenade. La pratique se popularise, montant jusqu’à Paris, et fera partie de l’exposition universelle de 1889, comme la Tour Eiffel.
Mais, “Autres temps, autres moeurs“, dit l’adage. Cent trente ans plus tard, la corrida ne fait plus florès sur le sol français, tout juste présente dans quelques arènes du sud du pays. Une pratique chaque jour d’autant plus décriée que les français se lassent des ignominies faites aux animaux, comme – plus largement – de l’horreur de la chasse, et de son décompte hebdomadaire de victimes innocentes. De plus, comment ne pas se souvenir de l’échange entre Willy Schraen, le “patron des chasseurs” depuis 2016, et l’avocate Marie-Anne Soubré, en 2021 sur RMC dans l’émission Les Grandes Gueules :
- Willy Schraen : On va arrêter de jouer les vierges effarouchées. {…} T’as pas compris que nous c’est une passion ? T’as pas compris qu’on prend du plaisir dans l’acte de chasse.
- Marie-Anne Soubré : A tuer ?
- WS : Ca en fait partie.
- MAS : Mais c’est affreux ce que tu dis en fait.
- WS : Mais c’est la vérité. {…} Je vais à la chasse, et j’y prends du plaisir.”
La chasse, la corrida, deux pratiques ayant en commun le supplice, la torture et la mort de l’animal, dans un but de divertissement. Et si la chasse est trop bien implantée dans les goûts personnels des plus hautes instances de l’Etat pour pouvoir pour l’instant être remise en question, la corrida commence à faire débat au parlement, faisant écho aux chiffres d’une enquête de l’Ifop pour le JDD. Une enquête réalisée en novembre et publiée le 17/11/2022, qui s’intitule : “Le regard des français sur la corrida“.
L’opinion des français sur la corrida en chiffres
Pour son enquête, l’Ifop a interrogé un échantillon de 1001 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus, en s’assurant de la représentativité du panel par la méthode des quotas. Et les chiffres sont sans appels : A la question “Diriez-vous que vous êtes favorable ou pas favorable à l’interdiction des corridas en France ?“, 74% des français se déclarent favorables :
- soit “tout à fait favorable” à 41%,
- soit “plutôt favorable” à 33%.
Soit les trois-quarts des français favorables à une interdiction de la corrida. Et si 15% ne sont “plutôt pas favorables”, ce ne sont que 11% qui se déclarent “pas du tout favorable” à l’interdiction de la corrida. Du côté des opinions par bord politique, on voit que les trois partis classiques, de gauche (PS), de droite (LR) et du centre-droit (LREM), ont des électeurs sensiblement équivalent sur le sujet :
- Parti Socialiste : 75% favorable à l’interdiction / 25% défavorable
- Les Républicains : 76% / 24%
- LREM : 73% / 27%
On observe une disparité plus forte chez les extrêmes :
- EELV : 93% favorable à l’interdiction / 7% défavorable
- LFI : 86% / 14%
- RN : 67% / 33%
Mais regarder le détail de l’enquête permet de relever des observations bien plus sensibles :
- Il existe une corrélation directe entre âge et rapport à l’interdiction de la corrida : plus on vieilli, plus on y est opposé. Les 18-24 ans sont 90% à y être favorables, les 65 ans et plus n’y sont que 65%, et catégories intermédiaires respectent proportionnellement cette dynamique. De la même manière, les 18-24 et 25-35 ne sont que 5% de “pas du tout favorable” à l’interdiction, ils sont 16% chez les 65 ans et plus. Au milieu, les 35-49 ans sont 12% et les 50-64 ans sont 13%.
- Plus on est diplômé, plus on est favorable à une interdiction de la corrida, de manière linéaire : 62% chez les non-diplômés, versus 82% pour les gradés du supérieur.
- Enfin, les dirigeants d’entreprises sont la catégorie la plus favorable à l’interdiction de la corrida, avec une proportion écrasante de 94%.
En définitive, en prenant simplement les chiffres, les français sont très largement favorables à l’interdiction de la corrida, pratique d’un autre temps, et jeu sadique d’une poignée de passionnés de la souffrance. Mais la classe politique française n’entend pas représenter cette sensibilité collective.
Après le retrait du texte de loi du député Aymeric Caron, le jeudi 24 novembre, en raison d’un trop grand nombre d’amendement d’une partie pro-corrida de la classe politique, comme les députés Anne-Laure Blin ou Corentin Carpentier, le texte pourrait être proposé de nouveau au vote de l’Assemblée Nationale dans les prochaines semaines.