Au micro de Apolline de Malherbe, la magistrate Évelyne Sire-Marin a justifié les peines courtes qui ont amené l’agresseur de Bordeaux à être encore en liberté, malgré une quinzaine de condamnations pour violences, vols, recel, ou encore menaces de mort.
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Évelyne Sire-Marin justifie le laxisme judiciaire, et minimise le passé criminel de l’agresseur de Bordeaux
Les auditeurs de l’émission Apolline Matin, sur la radio RMC, ont été nombreux à être surpris. Désagréablement surpris. Le mercredi 21 juin 2023, peu après 8h, Apolline de Malherbe reçoit Évelyne Sire-Marin, magistrate, membre de la Ligue des droits de l’homme et ancienne présidente du Syndicat de la magistrature (connu et condamné pour le “Mur des cons”).
Apolline de Malherbe revient avec elle sur l’agression violente du lundi 19 juin à Bordeaux (cours de la Martinique), perpétrée contre une femme âgée de 73 ans à son domicile et sa petite fille âgée de 7 ans.
L’homme qui a commis cette violente agression est un multi-récidiviste de 30 ans, qui compte quinze condamnations inscrites à son casier judiciaire. Face à Évelyne Sire-Marin, Apolline de Malherbe commence par énumérer les multiples condamnations de l’agresseur bordelais :
- 2019 : conduite sans permis de condurie
- 2016 et 2017 : recel
- 2016, 2017 et 2023 : stupéfiants (sans précisions de la part de Apolline de
- 2020 : vol en réunion
- 2017 et 2023 : menace de mort
- 2020 : dégradation
- 2014 et 2020 : violence en réunion
- Mais aussi port d’armes, rébellion, violence sur personne…
Après cette lourde énumération, la journaliste de 43 ans pose à la magistrate une question qui interpelle beaucoup de français : “Que faisait cet homme dans la rue ?”
Et la toute première réponse à cette question qu’apporte Évelyne Sire-Marie : “D’abord il était SDF”. La magistrate semble donc répondre à la condition sociale actuelle de l’homme, la forme, et pas sur le fait qu’il soit un criminel violent multi-condamné pourtant toujours en liberté, le fond.
Ensuite, la magistrate explique que “ce sont des infractions qui ont été punies finalement, mais de petites peines d’emprisonnement”. Apolline de Malherbe précise : “deux à trois mois d’emprisonnement”.
Évelyne Sire-Marin poursuit : “voilà, il a fait ses peines” avant de commencer à minimiser le parcours criminel de cet homme : “par exemple, on dit stup, mais c’était pas des trafics de stup, il possédait quelques grammes de cannabis, et cætera“ et explique que “dans ces cas là, les magistrats n’appliquent pas le barème maximum” possible, justifiant que “on ne va pas mettre, évidemment, cette peine, à la personne qui a quelques grammes de shit”.
Apolline semble surprise, et l’échange qui suit exprime le décalage entre une magistrate qui souhaite à tout prix laisser les délinquants récidivistes violents en liberté, et le regard d’un citoyen ordinaire :
- Apolline de Malherbe : Ça veut dire que tout est assez théorique en fait.
- Évelyne Sire-Marin : On essaye d’adapter les peines à la gravité de l’infraction.
- AdM : Mais vous n’adaptez pas au fait qu’il y ait de nombreuses infractions, au caractère répétitif ?
- ESM : Alors, si, la récidive fait que plus la personne commet des infractions, plus les peines augmentent, mais ça reste quand même de petites peines d’emprisonnement quand c’est de petits délits.
Une réponse déjà surprenante quand on reprend le passé judiciaire de l’homme cité à Bordeaux. Mais la magistrate se lance ensuite sur sa conception philosophique de fond :
- ESM : Le problème, c’est que la récidive n’a à peu près pas augmenté depuis vingt ans en France. Donc, quelles sont les solutions pour éviter la récidive ? Les solutions, c’est essentiellement, pour la réinsertion, les peines qui peuvent accompagner une personne lorsqu’elle sort de prison. Parce que la prison n’est pas du tout un facteur qui permet d’éviter la récidive. Toutes les études le montrent. La prison c’est fait pour punir, mais c’est pas fait pour éviter la récidive
- AdM : Du coup, on fait quoi ?
- ESM : Ce qu’on fait, ce sont des peines qui sont alternatives à la détention, ou qui peuvent accompagner la détention : On sort de prison, et puis par exemple, on a un sursis probatoire, on va être accompagné par des conseillers d’insertions, pour trouver un logement, se soigner…
- AdM : Mais là en l’espèce, Évelyne Sire-Marin, est-ce que vous trouvez ça satisfaisant ?
- ESM : Ce qui n’est pas satisfaisant, {…} c’est qu’en prison, il n’y a pas d’éléments qui permettent la réinsertion, donc ce qu’il faut c’est à la sortie les personnes puissent être réinsérées, et ça ça ne fonctionne pas.
Abordant ensuite le profil psychiatrique lourd de l’homme, Apolline de Malherbe demande :
- AdM : Est-ce qu’à un moment, quand un homme comme ça est jugé, est jugé à de si nombreuses reprises, qu’on constate que la réinsertion n’a pas marché une fois, n’a pas marché deux fois, ni vingt fois, est-ce qu’il n’y pas un autre rôle qui n’est pas seulement de punir, mais aussi de protéger la société ?
- ESM : Oui, de protéger la société. Le problème c’est que, est-ce que tous les moyens ont été mis pour que, par exemple, cet homme là puisse se soigner puisque c’est un malade psychiatrique ?
Avant d’aborder le secteur psychiatrique en crise dans les prisons, et le besoin de soin des prisonniers, massivement sujets à des troubles psychiques et à des additions (drogues, alcool), mais aussi le secteur psychiatrique insuffisamment équipé à l’exterieur pour s’occuper “des personnes” et leur dire “il faut vous soigner, on vous suit”.
Pour la magistrate Évelyne Sire-Marin, plus de moyens pour les coupables, mais pas de sécurité pour la société
Apolline de Malherbe recadre : “Mais, j’essaye de me mettre à la place d’un magistrat, un magistrat qui est à Bordeaux, qui voit cet homme la venir, revenir, re-revenir. J’ai donné les dates, c’est sidérant, il n’y a pratiquement pas une année où il n’y a pas eu une condamnation. Est-ce qu’à un moment ce magistrat ne se dit pas : “ce type n’a rien à faire dehors, il va retomber dans la violence, retomber dans la délinquance, un jour, il va commettre un acte plus grave encore“. Il n’y a pas de solutions ? On attend quoi ?”
Et Évelyne Sire-Marin de revenir encore sur la récidive, expliquant que si la prison “sert à éloigner quelqu’un de la société”, elle ne sert pas “du tout à empêcher la récidive”, mais “qu’il faut des systèmes, comme les TIG ou le sursis probatoire, qui permettent d’éviter la récidive parce que ça marche ! En TIG, il y a seulement 31% de récidive, ce qui est moitié moins que quand on sort de prison sans être accompagné.”
Enfin, reprenant encore le cas de l’homme qui a agressé une grand-mère et sa petite fille à bordeaux, la magistrate explique :
“Plus ça va, plus les peines d’emprisonnement sont augmentés.” Des mots qui semblent très contradictoires avec ce qu’elle disait en début d’interview. Elle poursuit : “mais ces peines d’emprisonnement ne permettent pas ni de le soigner ni de le réinsérer.”
Avant de lancer encore l’idée “essentielle” que les besoins sont dans le logement, les soins, la prévention de la récidive, et les accompagnements notamment au niveau psychiatrique, cherchant des justifications dans “les 70 000 lits supprimés en psychiatrie”.
Elle appelle ensuite “les politiques” à “ouvrir plus de lits de psychiatrie, des centre médico-psychologiques”, et que la “psychiatrie a énormément besoin d’être renforcée”, avant de conclure sur ces mots : “La prison, c’est un échec phénoménal en ce qui concerne la récidive.”
En l’écoutant, on a le sentiment qu’elle préfère donc libérer les délinquants violents multi-récidivistes pour forcer la société à mettre plus de moyens dans la psychiatrie, les soins et le logement, que protéger la société en enfermant les criminels violents et récidivistes.
De plus, on peut regretter qu’Apolline ne lui pose pas la question suivante : Puisque la récidive est le problème, pourquoi continuer à mettre les peines les plus légères possibles aux délinquants violents récidivistes ? Si ces criminels étaient en prison pour des peines réellement adaptées à leurs crimes, à leur parcours et à leur profil, des peines de plusieurs années donc, ils auraient moins souvent l’occasion de récidiver.
Entendre qu’une magistrate légitime des peines de “deux ou trois mois” pour “quelques grammes de cannabis” à propos d’un homme également condamné pour menace de mort, vol, violence en réunion, et qui vient d’agresser sauvagement une grand-mère et sa petite fille exprime directement le sentiment de laxisme judiciaire qui touche les français.
Retrouvez en intégralité cette séquence entre Apolline de Malherbe et la magistrate Evelyne Sire-Marin à ce lien.