Le géant Hasbro a tellement usé les joueurs de MTG que même les analystes financiers sonnent l’alarme.
Image en couverture : © Wizards of the Coast
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Magic: The Gathering, et ses dizaines de nouveaux produits annuels
C’était à l’automne 2019. Wizards of the Coast, du groupe Hasbro, lançait son édition la plus puissante depuis plusieurs années : Throne of Eldraine (Le Trône d’Eldraine en version française). L’édition marque non-seulement les formats les plus joués du moment, mais la puissance de ces cartes fait que trois ans plus, tard, plusieurs de ces cartes sont bannies également dans les formats éternels. Juste pour le populaire format Modern, ce sont “Once Upon a Time“, “Oko, Thief of Crowns” et “Mystic Sanctuary” qui sont bannis, faisant d’Eldraine l’édition la plus modérée depuis une quinzaine d’années. Et depuis, WotC a largement revu à la baisse la puissance générale de ses éditions.
Mais Eldraine n’était pas un tournant dans Magic: The Gathering qu’en raison de sa puissance. L’édition introduisait un nouveau type de booster, destiné aux collectionneurs : les boosters Collector. Des boosters vendus à l’unité 24,90 €, contre 3,50 € pour des boosters traditionnels, devenus “draft boosters”, ou dans des boites de 12 boosters, pour plus de 240€ (source : Magic Corporation, l’un des sites référents en France).
Un an plus tard, avec l’édition automnale de 2020 Renaissance de Zendikar, WotC lance les boosters d’extension, une version intermédiaire, au prix plus proche des boosters de draft, mais avec seulement 12 cartes contre 15.
En parallèle, Wizards développe les produits alternatifs, plus ou moins accessibles : JumpStart, Double Masters, Mystery Booster… L’entreprise développe aussi les decks “Commander”, en sortant deux, trois, quatre, cinq par extensions – pour quatre extensions standards annuelles… Relançant le modèle des “From the vault” WotC lance des mini-sets Secret Lair, allant jusqu’à vendre des lots de terrains de bases plusieurs dizaines d’euros.
Et cette liste n’est pas exhaustive. Les produits se multiplient, et la collectionnite du joueur de Magic est sur-sollicitée. Voici une frise chronologique résumant en partie l’accélération des sorties MTG depuis la création du jeu en 1993 :
Magic, la vache à lait assumée de Hasbro
En février 2022, Hasbro dévoilait son chiffre d’affaires pour l’année écoulée, mais également ses bénéfices, et donnait plusieurs informations intéressantes. On apprenait que la division Wizards of the Coast avait réalisé en 2021 952 millions de dollars de CA juste avec les jeux physiques (carte et plateau) et 50 millions de dollars sur le digital, avec MTG Arena en particulier. Surtout, ces deux segments comptaient largement dans les 763,3 millions de bénéfices de Hasbro : 72% du bénéfice d’exploitation total sont issues des 547 millions de dollars de bénéfices de WotC pour pour l’année 2021.
En deux mots, Magic : The Gathering génère de l’argent, beaucoup d’argent… Et mieux encore, Magic : The Gathering est rentable, très très rentable. Et Hasbro ne s’y est pas trompé.
En octobre 2022, Hasbro dévoilait ses plans pour développer encore ses bénéfices sur les exercices à venir d’ici 2027, et expliquait vouloir s’appuyer largement sur sa vache à lait Magic : The Gathering (et ses généreux clients). L’objectif est clair : “Croissance du bénéfice d’exploitation de 50% au cours des trois prochaines années, avec des plans pour augmenter encore la marge du bénéfice d’exploitation à 20 % d’ici 2027”. Hasbro vise des bénéfices records, battus chaque année, pour les quatre prochaines années.
Une stratégie très négative à long-terme selon Bank of Americca
Oui mais voilà, cette stratégie d’ultra diversification, proposant toujours plus de produits, avec des gammes toujours plus onéreuses : ça ne plait pas aux consomma-joueurs.
L’un des arguments souvent mis en avant par Hasbro/Wotc et les défenseurs de leur stratégie était que les produits les plus onéreux et/ou alternatifs ne sont pas nécessaires pour jouer à Magic, même en compétitif. S’il existe une version Secret Lair Etched Foil d’une carte mythique indispensable pour un deck compétitif, coutant des centaines d’euros, il existe toujours une version 100% basique de cette même carte, moyennant maximum quelques dizaines d’euros pour une version 100% neuve.
Seulement, plus d’éditions standards comme d’éditions alternatives, couplées aux produits destinés à un format spécifique (comme le Commander), poussent forcément le consommateur/joueur à rechercher plus de nouvelles cartes, à un rythme de plus en plus soutenu. Et cela semble l’user.
Un constat dont on apprend grâce à investing.com, dans un article dédié, qu’il est partagé par les plus hautes instances financières américaines. Ce ne sont rien de moins que les analystes de Bank of America qui ont dégradé l’entreprise Hasbro dans leurs prévisions financières, et ont largement réduit l’objectif de cours, à 42$ par action, contre 72$ précédemment. Après une vraie enquête sur l’univers Magic : The Gathering, le constat des analystes est le suivant :
“Nous avons parlé avec plusieurs joueurs, collectionneurs, distributeurs et magasins de jeux locaux et nous avons pris conscience d’une frustration croissante. La principale préoccupation est que Hasbro a surproduit des cartes Magic, ce qui a soutenu les résultats récents de Hasbro mais détruit la valeur à long terme de la marque.”
“Les joueurs n’arrivent pas à suivre et se tournent de plus en plus vers le format “Commander” qui permet d’utiliser des cartes plus anciennes. L’offre accrue a fait s’effondrer les prix du marché secondaire, ce qui a fait perdre de l’argent aux distributeurs, aux collectionneurs et aux magasins de jeux locaux sur Magic. En conséquence, nous nous attendons à ce qu’ils commandent moins de produits lors des prochaines sorties”
Pire, le prix exorbitant demandé par Wotc pour le pack 30ème anniversaire, qui contenait quatre boosters seulement de cartes illégales en tournoi, pour 999$, a inquiété les observateurs, qui y voit un signe très négatif pour la valeur du marché “Magic” dans son ensemble :
“Cela a créé la panique chez les collectionneurs et nous voyons des collections être liquidées maintenant que la valeur de rareté de Magic est remise en question.”
En conséquence, après cette dégradation par “Bofa”, l’action Hasbro dévissait en bourse lundi 14 novembre, accusant une chute brutale de plus de 6%.
Il est peut-être temps pour Hasbro de laisser Wizards of the Coast tranquille, et pour Wizards de recoller aux désirs de joueurs notoirement fidèles, pour avancer ensemble 30 ans de plus…
