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“Loot box” et jeu d’argent : une nouvelle étude lie les deux phénomènes

Une étude scientifique de novembre 2022 met en exergue le rapport entre l'achat de "loot box", et la consommation de jeux d'argent et de hasard.

Une étude canadienne publiée le 30 novembre 2022 met en exergue le rapport entre achat de “loot box” dans les jeux vidéos, et consommation (problématique) des jeux d’argent et de hasard.

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L’addiction au jeu

“Pong” a eu cinquante ans en 2022. Et pendant longtemps, les jeux vidéos n’étaient que des jeux. Moyennant une somme définie, la client achetait une expérience “finit” : le jeu avait été intégralement développé, avait un début et une fin, et proposait d’emblée à son détenteur l’ensemble des facteurs nécessaires à sa progression pour aller obtenir la victoire finale. Depuis une quinzaine d’années, et le croisement entre les jeux vidéos et l’accélération massive des connexions internet (ADSL, 4G…), le jeu vidéo n’est presque plus proposé comme un produit finit.

Que l’on paye ou non l’accès à son jeu vidéo, on est désormais presque systématiquement soumis à des achats additionnels : qu’il s’agisse de “cosmétiques” ou d’univers entiers ayant des intrigues complètes, le panel est vaste. Aussi, un jeu vidéo n’a souvent plus de prix réel défini à présenter à son client potentiel, puisque c’est parfois le montant qu’il est prêt à y mettre qui définira son expérience de jeu. L’un des exemples récents est la version mobile de la populaire licence Diablo. A la sortie de “Diablo Immortal”, le joueur pouvait dépenser jusqu’à 500 000$ pour avoir la version la plus puissante de son héros.

Néanmoins, tant que le joueur sait ce dont il fait l’acquisition (une épée, une maison, un cheval), les choses ne posent pas nécessairement un problème : chacun est libre de ses choix, jouer à un jeu ou non, acheter pour progresser plus vite ou non, etc… Mais avec l’apparition et la généralisation massive des “loot box”, les choses étaient moins claires, plus vicieuses même…

Car, conçues pour attirer le joueur, les loot box sont généralement achetées avec de l’argent réel, et ne permettent au joueur que de tenter de gagner des objets virtuels, avec une probabilité très faible (voire infime) qu’il s’agisse des meilleurs. Le plus souvent, le lot est une ressource extrêmement commune du jeu, sans aucune valeur, ni aucun intérêt pour le gameplay. C’est cette part d’aléatoire qui tend à faire que la frontière entre jeu video et jeu d’argent soit de plus en plus ténue. Et qui peut amener à franchir la limite entre les deux mondes.

Une étude canadienne s’est intéressée récemment au sujet, pour voir de quelle manière on pouvait observer un lien entre achat de loot box et pratique des jeux d’argent et de hasard. Cette étude nommée “L’achat de loot box est associé au jeu et au jeu problématique lors du contrôle des facteurs de risque psychologiques connus du jeu” a été publiée dans “Addiction Research & Theory”, le 30 novembre 2022.

D’après les conclusions des auteurs, les personnes jouant aux jeux vidéos et qui achètent des “loot box” sont jusqu’à deux fois plus susceptibles de jouer à des jeux d’argent, et sont largement plus susceptibles d’avoir des problèmes liés au “jeu” que les personnes n’achetant jamais de loot box. Leurs résultats amènent à mettre en doute l’idée selon laquelle des “facteurs psychologiques” créent le lien chez les joueurs de jeux vidéos entre la notion de jeu d’argent et les loot box. Pire, les associations observées entre l’achat de loot box et la pratique des jeux d’argent tendent à étayer le rôle des loot box comme passerelles vers les jeux d’argent et de hasard, et même vers des comportements problématiques.

Un lien entre les loot box des jeux vidéos, et les jeux d’argent

Pour parvenir à ces conclusions, l’équipe s’est appuyée sur deux panels : des étudiants de cinq universités canadiennes, et des personnes issus de la plateforme en ligne “Academic Prolific” et de “Reddit”.

Le pool de base de l’étude comptait 1703 participants “étudiants” et 611 “autres”, issus du Canada et des USA. Après un filtrage, l’échantillon final d’étudiants comptait 1189 participants, dont 200 (16,8%) avaient déclaré avoir acheté des loot box au cours de l’année précédente. De même, après filtrage, il restait pour l’étude 499 personnes “autres”, dont 86 (17,2%) avaient déclaré avoir acheté des loot box au cours de l’année précédente. Tous avaient l’âge légal pour jouer dans leur juridiction : 18 ans, 19 ans ou 21 ans selon les zones.

Tous les participants ont rempli un questionnaire sur leur rapport au jeu et leur consommation de jeux vidéo, mais également leurs comportements addictifs, leur santé mentale et d’autres problèmes potentiels : la détresse émotionnelle, la tendance à agir de manière imprudente, ou encore les expériences négatives durant l’enfance, comme la négligence et la violence.

Les résultats ont montré qu’une proportion similaire (17 %) d’étudiants et de participants “autres” avaient acheté des loot box au cours de l’année écoule, avec une dépense moyenne de 90$ et 240$ par groupe. 

Dans le groupe “étudiants”, 28% de ceux qui avaient acheté des loot box ont aussi déclaré avoir joué à des jeux d’argent et de hasard au cours de l’année précédente, contre 19% seulement chez les non-acheteurs. Chez les étudiants, plus une personne était acheteur de loot box, plus forte était sa propension à être également “joueur”.

Cette corrélation n’était pas observable dans le second groupe, mais la consommation globale y était supérieure, avec plus de la moitié (57 %) des adultes “autres” ayant acquis des loot box qui avaient également joué, contre 38% des non-acheteurs.

Enfin, de tous les facteurs de risque psychologiques proposés et testés dans l’étude, ce sont les expériences négatives durant l’enfance qui étaient le plus systématiquement associées à une probabilité supérieure de pratiquer le jeu au cours de l’année précédente, et plus largement à une augmentation du jeu problématique.

En Belgique, les loot box sont interdites depuis 2018.

Les auteurs de l’étude :

  • Sophie G. Coelho
  • David C. Hodgins.
  • Matthew T. Keough
  • Will N. Shead
  • Hyoun S. Kim
  • Puneet K. Parmar

Vous pouvez retrouver l’étude complète “L’achat de lootbox est associé aux jeux d’argent et aux problèmes de jeu lorsqu’on tient compte des facteurs de risque psychologiques connus des jeux d’argent” en suivant ce lien.