Le départ surprise de Rhuigi Villaseñor de Bally pose des questions, dans un contexte particulier.
Image en couverture : © Rhuigi Villaseñor – Bally
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La rupture entre Bally et Rhuigi
Il parait que l’Amour dure trois ans. Parfois, il semble qu’il ne dure pas deux, et que les adieux se fassent à peine plus d’un après un début en fanfare.
Bally est une maison suisse fondée par Carl Franz Bally et son frère Fritz il y a 172 ans maintenant, en 1851. Vingt-quatre ans avant que Jeanne Calment ne vienne au monde, pour situer. Une maison qui a construit son Histoire dans le temps, d’abord en étant un producteur de chaussures dans des usines basées en Suisse, mais aussi à Londres, Paris, ou encore Buenos Aires.
La marque s’est diversifiée au cours des époques, et les dernières décennies ont été tumultueuses pour Bally. Pour se relancer, l’entreprise avait misé sur le fondateur de Rhude (lancé en 2015), Rhuigi Villaseñor.
Seulement, Rhuigi avait été nommé en janvier 2022, et le 17 mai 2023, la collaboration entre le natif de Manille et Bally était officiellement terminée, comme l’a annoncé en exclusivité WWD.
Rhuigi n’aura signé que deux collections à la tête de la maison suisse. Bally a assuré que que la prochaine collection pour Milan en septembre 2023 sera créée par le studio interne, comme l’ont fait récemment Gucci mais surtout Louis Vuitton, du départ de Virgil Abloh à la nomination de Pharrell.
Quant à la succession, on parle de Raul Lopez, Martine Rose et Bianca Saunders, trois créateurs ayant une vision et un parcours déjà fort dans la mode contemporaine. Et tous ont eu une première reconnaissance académique précoce, puisque Raul Lopez et Bianca Saunders ont été finalistes du prix LVMH, et Martine Rose avait été nominée.
Les raisons de ce divorce précipité
Les formes sont naturellement mises quant à cette fin de collaboration entre Rhuigi Villaseñor et Bally, suite à “une décision mutuelle” de la part des deux parties. Le créateur de Rhude a de son côté commenté :
“Mon expérience chez Bally a été un honneur incroyable. Je souhaite à la marque tout ce qu’il y a de mieux dans tous ses projets futurs et j’ai hâte de profiter de son prochain chapitre créatif.”
Mais les questions restent en suspens sur cette collaboration à peine entamée, déjà terminée. Est-ce que Bally attendait trop de Villaseñor trop vite, avec l’espérance immédiate d’une image rajeunie, de stars mondiales envoutées et d’une croissance forte en prime, notamment sur le marché US ?
Est-ce que l’entreprise attendait trop rapidement que Rhuigi fasse de Bally une marque populaire auprès de stars comme Lebron James, Jay-Z, The Weeknd, Kendrick Lamar ou encore Booba au niveau français, comme l’est Rhude ? Une marque prisée des hype kids, des sportifs de premier plan, des fashionistas new yorkaises ? Possible.
Il semble en tout cas que le mariage n’ait pas pris entre un designer totalement autodidacte de l’école californienne – la rue, la plage, le streetwear – et une maison suisse bientôt vieille de deux siècles, avec l’ensemble des codes que cela sous-entend.
Au niveau des chiffres, même si Bally ne publie pas de bilans, la marque suisse a indiqué une hausse de 20% depuis le début de l’année 2023 par rapport à 2022. Un excellent début comptable, que plus d’une marque rêverait de connaître. Peut-être insuffisant ? Mais en quinze mois, comment faire beaucoup mieux ?
En regardant la situation de Rhuigi et Bally, comment ne pas penser aux départ récents de Alessandro Michele de Gucci et Clare Waight Keller de Givenchy ? Le premier avait donné à Gucci un style et une direction complètement nouvelle, et le chiffre d’affaires s’en était largement ressenti, de 3,9 milliards d’euros en 2015 à 9,7 milliards en 2021 (148% de croissance). Le passage de trois ans de Clare Waight Keller chez Givenchy a vu la maison atteindre près de 600 millions d’euros de CA, même si c’était inférieur à l’objectif d’un milliard de dollars fixé par Bernard Arnault.
Des collaborations qui avaient eu le temps de se construire sur une période plus longue. Finalement, ce départ inattendu après une collaboration express de Rhuigi rappelle la rupture précipitée entre Kris Van Assche et Berluti en avril 2021, et l’annonce il y a trois semaines que Charles de Vilmorin renonçait à poursuivre son aventure chez Rochas, après seulement deux ans.
Enfin, peut-être que les très nombreuses collaborations personnelles de Rhuigi avec de nombreuses marques, historiquement et récemment, ont suscité des tensions entre le créateur et la maison. De Zara à Puma, Rhuigi et Rhude avaient et ont de nombreux partenaires. Qui ouvrent peut-être une voie sur l’avenir de Rhuigi, après Bally ?
En tout cas, le designer est arrivé à Cannes, où il a été vu sur le tapis rouge, et ne devrait pas perdre de temps.