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Première écoute : Maes voyage très près de l’ennui avec son album “Omerta”


Omerta, un très long troisième album en demi-teinte pour le rappeur Maes.

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Omerta, le très opulent retour de Maes

On avait laissé Maes avec les premières images leakées du clip de “Malembé”, il y a quelques jours, le visage bouffi, les traits étranges, pratiquant une gestuelle syncopée aux airs de mauvais présages.

Plus largement, le rappeur de 28 ans sort d’une période difficile, entre son kidnapping présumé du bloggeur Aqababe et différentes histoires violentes à Sevran, sa ville d’origine. Certains le disent même en fuite depuis, et lorsqu’il se présente avec une lourde sacoche pour la release party de “Omerta”, on peut lire que c’est parce qu’un gros “fer” est caché dedans. De plus, sa ressemblance récente avec les regrettés frères Igor et Grichka Bogdanoff n’aide pas vraiment à rassurer sur la santé physique et mentale du rappeur.

Reste que Walid “Maes” Georgey sortait ce vendredi 10 mars son troisième album studio “Omerta”, déjà sept ans après le projet #LibérezMaes, et trois ans après son dernier opus “Les Derniers Salopards”.

Omerta, un nouvel album long format, comptant 20 tracks pour un peu moins d’une heure de musique au total. Et que Maes débute par “Intro”, sur une prod qui reprend une Gnossienne d’Erik Satie ou une nocturne de Chopin ? Je n’ai pas réussi à retrouver, mais si vous savez : victor@arielworld.fr ! Une intro très agréable, mais qui malheureusement donne le ton de ce que sera “Omerta” pour l’essentiel : un piano sombre, une 808 bass, un flow linéaire et de la reverb.

Car si Omerta est un projet aussi généreux, c’est que c’est un projet rébarbatif : de très (trop) nombreuses tracks reprennent sempiternellement ce même socle pour en rendre encore et encore la même partition : “Frank Lucas”, “Manon, “Opaque”, “La Honda”, “Rif”, “La moto”…

Ce qui n’empêche pas qu’on y trouve de bonnes, voir de très bonnes productions, comme sur l’excellent titre “Araï”, le sombre “Fetty Wap”, le très bon “Le Moine” et ses trois parties. Et on ne peut pas dire que “Frank Lucas” et “Opaque” ne sont pas de bons morceaux, bien au contraire, même s’ils sont dans la même partition linéaire qu’on trouve partout sur Omerta. L’intrumental de “Galactic” a même un petit goût de “Une époque formidable” de Sinik, sortie en 2005.

Des feats de qualité dans l’ombre de Booba

On trouve aussi de très bonnes prods sur les feats, qui sont assez nombreux sur Omerta, comptant environ un tiers de l’album, dont voici un bilan :

  • “La pègre” avec Gazo : Heureusement qu’il y a Gazo pendant 29 secondes, parce que les parties de Maes sont compliquées, surtout la tentative de refrain chanté sur un beat Jersey, et lorsqu’il entonne pour la douzième fois “et je m’en fous d’eux”, je me dis que je m’en fous de continuer cette soupe cauchemardesque. Désolé.
  • “Velar” avec Koba LaD : On en retient bien sûr la magnifique ligne d’intro de Koba “Moi j’ai pas fait de prison moi”, alors que le rappeur est actuellement derrière les barreaux. Il y respecte aussi sa règle d’or : commencer tous ses feats. Mais en dehors de ça, si on y écoute un bon Maes bien inspiré, le passage éclair de Koba reste le meilleur moment de ce feat.
  • “B22” avec Niska a un bon goût de banger radio taillé pour les fenêtres ouvertes des voitures en été, simple mais très efficace.
  • “Criminal” avec Morad : Le rappeur espagnol Morad El Khattouti El Horami de son vrai nom lâche l’un des meilleurs couplets de l’album, mais encore une fois c’est sa partie la plus intéressante du feat.
  • “Malembé” avec Gims : Sur le papier, le feat a un mauvais goût de revanche des loosers – on y reviendra plus loin. Reste que Gims dans sa zone de confort propose une bonne partition, et que Maes nous offre une rare bonne surprise, faisant de ce feat improbable l’un des meilleurs morceaux de l’album.
  • “Boîte à gants” avec Kayna Samet est clairement dispensable.

Une liste de feats disparates, qui pourrait porter un nom : Booba. Si l’on excepte Gazo, qui vient tout juste d’exploser (en partie grâce à des partages sur Instagram de Gato da Bato et Booba d’ailleurs), et l’espagnol Morad, on retrouve beaucoup de naufragés des “pirateries” de Booba :

  • Gims, dont la carrière est en grande difficulté et qui fait désormais des showcase dans des centre commerciaux de province et des foires de campagne (voir notre article), est un ennemi de longue date du rappeur de Boulogne. Un ennemi qui semble avoir parfois coûté quelques points à ses capacités cognitives, comme lorsqu’il postait une longue story lunaire sur Booba au printemps dernier, alternant des insultes, des cris, un comportement erratique et des comparaisons douteuses… Un moment pitoyable, qui avait été le point d’orgue de leur petite guéguerre. Reste que lorsque Maes s’est fâché avec celui avec qui il a pourtant fait ses morceaux les plus connus (pas forcément les meilleurs), Booba, il s’est tourné vers l’autoproclamé “Maître” (sic), qui pourtant ne disait pas beaucoup de bien de lui : “Le DJ est bon…”. Un duo hypocrite et opportuniste, mais qui donne pourtant un bon résultat.
  • Niska, qui n’est pas réellement entré dans un clash ouvert et frontal avec Booba, de manière très intelligente, a été tout de même bien chargé par son ancien ami de Miami quant sont apparues les accusations de violence sur son ex-compagne Aya Nakaruma. Pourtant, comme Maes, Booba et Niska avaient fait parmi leurs plus beaux succès ensemble ces dernières années.
  • Kayna Samet n’était pas en clash avec Booba jusqu’à ce feat avec Maes, et au contraire elle lui avait été très reconnaissante publiquement pour son invitation au Stade de France en septembre 2022, l’une des très rares qu’avait fait Booba pour ce concert unique. Sauf qu’en acceptant de chanter avec le rappeur de Sevran, elle est passée sur la liste noire… Un investissement qui semble difficile à juger pour l’instant.
  • Koba LaD n’est théoriquement pas en clash avec Booba, mais on sait du très bien informé Mehdi Maïzi (qui lui est en clash avec) qu’un feat avec Booba était en production pendant un temps, lorsque la carrière de Koba a décollé entre 2017 et 2019, mais que ce feat ne s’est jamais conclut…

Le bilan de Omerta

En définitive, que penser de Omerta ?

Sans vouloir être dur gratuitement, je pense qu’il faut dire que le problème sur cet album de Maes, c’est qu’il y a trop de Maes. Et un Maes qui se repose trop sur un flow trop archétypal : sur la plupart de ses pistes solo, j’ai envie de compter les syllabes en l’écoutant égrener sempiternellement ses litanies de buzzword. Toujours le même pattern vocal linéaire : “1,2,3,4 – 1,2,3,4″… Pourtant, c’est quand même du bon Maes, mais c’est juste du Maes, sans renouvellement, sans nouveauté, sans aspérités, sur la plupart de ses tracks à piano. Et quand il dit “je rappe comme si j’avais quarante piges”, difficile de lui donner tort.

Et avec ce flow linéaire, arrive l’ennui. L’ennui. L’ennui encore. L’ennui toujours, surtout sur les quatre derniers titres, qui n’apportent rien à l’album, et le rallonge pour rien (à part le compte des streams qui en résulte). De même, le début va rapidement tomber dans l’oubli. Pire, certaines tentatives sont absolument inaudibles, comme “Quand t’es là”.

Reste que Maes est un bon parolier, qui manie très bien la construction actuelle du rap basée sur des images fortes et des idées faibles. Dont il sort de bonnes punchlines, comme sur Frank Lucas “Si le sourd d’entend pas l’orage il enverra la pluie, si j’suis de bonne humeur je vise ton pied d’appui”, ou “Faut éviter les paluches et l’ADN, Sang de l’ennemi sur la TN” dans Galactic.

Mais on retiendra donc surtout les excellents solos “Araï”, “Le Moine”, et “Fetty Wap”, les bons “Haut et Bas” et “Omerta”, et les feats avec Morad, Gims, Koba, Gazo et Niska. Soit une dizaine de track sur les vingt de “Omerta”.