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CALEC, un traitement oculaire à base de cellules souches cultivées

CALEC, une nouvelle voie d'utilisation de cellules souches pour guérir des pathologies oculaires.

Les propres cellules souches du patient guérissent ses lésions de la cornée, grâce à une nouvelle méthode nommée CALEC. La procédure a restauré en toute sécurité la surface de la cornée chez quatre patients souffrant de brûlures chimiques graves, au cours de la première phase d’essai (phase I).

Image en couverture : © Ariel World

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L’insuffisance en cellules souches limbiques

Depuis le milieu des années 80, la recherche scientifique autour des cellules souches promet d’immenses espoirs de guérisons, pour une grande variété de pathologies. Une recherche qui se heurte encore à bien des difficultés, mais qui progresse grandement ces dernières années.

Parmi les axes principaux qui promettent des avancées rapides, la création de cellules souches à partir de cellules “classiques” d’un patient. C’est cette voie qui a été utilisé par une équipe de chercheurs pour travailler à guérir une pathologie oculaire grave : l’insuffisance en cellules souches limbiques (ou LCSD).

Lorsque les cellules souches limbiques (CSL) deviennent dysfonctionnelles ou déficientes, la cornée est incapable de maintenir son intégrité épithéliale de surface et un déficit en CSL se développe. À terme, ces changements entraînent une altération de la qualité de vie, des douleurs et enfin la perte de la vision.

Des possibilités existent : la principale reste la transplantation de cornée, soit issue de l’autre oeil sain du patient, soit des yeux d’un patient donneur décédé. Cette deuxième option comporte un risque élevé de rejet, et nécessite une immunosuppression systémique à long terme. La première comporte elle des risques de création de la même pathologie dans l’oeil viable du patient. La transplantation d’épithélium limbique peut également fonctionner. Plus largement, les transplantations pallient mais ne traitent pas la pathologie.

Dès 1997, des premiers essais avec des transplantation d’épithélium limbique cultivé avec des “autologous limbal epithelial stem cells” ont montré des résultats positifs à long terme sur deux patients. Une procédure nommée CLET. Mais ces cellules étaient produites avec “des cellules murines xénogéniques et du sérum bovin fœtal”, rendant la procédure incompatible avec les bonnes pratiques de fabrication actuelles.

La méthode CALEC à base de cellules souches

Dans une publication parue le 18 août 2023 dans la revue Science, le docteur Ula Jurkuna et son équipe (du Mass Eye and Ear, un membre du Mass General Brigham) présente une nouvelle méthode nommée CALEC, et les résultats de la première phase de leurs essais.

Pour traiter le déficit en CSL, les chercheurs ont développé des “cultivated autologous limbal epithelial cells” (CALEC, cellules épithéliales limbiques autologues cultivées), pour isoler et developper des CSL sur une membrane amniotique humaine.

Les chercheurs précisent que le procédé a été fait “avec un contrôle de qualité rigoureux” dans “un établissement appliquant les bonnes pratiques de fabrication”, et en utilisant “un processus de fabrication innovant sans xénobiotique, sans sérum et sans antibiotique”.

Un process en deux étapes : Des biopsies dans le limbe (une zone à la frontière entre cornée et sclérotique) ont été utilisées pour générer une base aux CALEC, puis les greffes finales ont été évaluées par microscopie à balayage non invasive et testées pour la viabilité et la stérilité. Les cellules cultivées ont conservé un phénotype de cellule épithéliale “avec des capacités de formation de colonies et de prolifération”.

L’analyse des biomarqueurs des CSL a montré la préservation de la “stemness”.

“Nous avons mis au point une technique de fabrication pour remédier à ces insuffisances : les cellules épithéliales limbiques autologues cultivées (CALEC). Nous avons supprimé les antibiotiques et les cellules nourricières murines, utilisé des méthodes hautement reproductibles pour l’isolement et l’expansion des cellules épithéliales limbiques sur une membrane amniotique humaine, et développé des critères de qualité rigoureux pour le greffon tissulaire fabriqué. “

Une première phase d’essais réussie

Après le développement préclinique, un essai clinique de phase 1 a été réalisé sur cinq patients présentant un déficit en CSL.

Quatre de ces patients ont reçu des greffes de CALEC, ce qui a permis d’établir la faisabilité préliminaire. Les patients suivis pendant 12 mois ont vu leurs surfaces cornéennes restaurées : deux ont pu subir une greffe de cornée et deux ont signalé des améliorations significatives de leur vision sans traitement supplémentaire.

Voici les images de l’évolution de leurs yeux sur la période de douze mois suivant le traitement à base de cellules souches CALEC :

Les images de l'évolution de leurs yeux sur la période de douze mois suivant le traitement à base de cellules souches CALEC.

Sur la base de ces résultats, une deuxième phase de recrutement a été lancée afin d’obtenir des données sur l’efficacité à plus long terme sur un plus grand nombre de patients, et la sécurité de la méthode. Cette fois, 15 patients soumis à cette utilisation de CALEC seront suivis ensuite pendant 18 mois.

Ula Jurkunas, MD, directeur associé du service de cornée au Mass Eye and Ear et professeur associé d’ophtalmologie à la Harvard Medical School, a déclaré :

“Nos premiers résultats suggèrent que la CALEC pourrait offrir un espoir aux patients qui ont été laissés avec une perte de vision non traitable et la douleur associée à des blessures majeures de la cornée. Les spécialistes de la cornée ont été gênés par le manque d’options thérapeutiques présentant un profil de sécurité élevé pour aider nos patients souffrant de brûlures chimiques et de blessures qui les rendent incapables d’obtenir une greffe de cornée artificielle. Nous espérons qu’avec des études plus approfondies, CALEC pourra un jour combler cette lacune thérapeutique cruciale”.

Jerome Ritz, directeur exécutif du centre de manipulation cellulaire des familles Connell et O’Reilly à Dana-Farber et professeur de médecine à la Harvard Medical School, a déclaré à propos des défis posés par l’innovation de cette technique :

“La mise au point d’un processus de création de greffons de cellules souches limbiques répondant aux exigences réglementaires strictes de la FDA en matière d’ingénierie tissulaire a été un véritable défi. Après avoir développé et mis en œuvre ce processus, il a été très gratifiant de constater des résultats cliniques encourageants dans la première cohorte de patients recrutés pour cet essai clinique.”

Joan W Miller, titulaire de la chaire d’ophtalmologie au Mass Eye and Ear et au Mass General Hospital et professeur d’ophtalmologie à la Harvard Medical School :

“Le Dr Jurkunas et ses collègues du Mass Eye and Ear et de plusieurs centres universitaires ont consacré près de vingt ans de travail à atteindre un jour cet objectif pour les personnes souffrant de lésions importantes de la cornée.”

Retrouvez la publication complète sur Sciences.org : https://www.science.org/doi/10.1126/sciadv.adg6470