__

Une pilule pour rajeunir développée par des chercheurs de Harvard

Avec une nouvelle méthode dérivée de la méthode OSK, et des cocktails chimiques, une équipe de Harvard travaille à créer des pilules de rajeunissement.

La pilule de rajeunissement pourrait devenir réalité, en utilisant des cocktails chimiques aux résultats très prometteurs dans la reprogrammation cellulaire. C’est en tout cas ce que développe une nouvelle étude publiée fin juin 2023 par David Sinclair (de Harvard), et son équipe.

Auteur / Autrice :

David Sinclair est un professeur de génétique de l’université médicale de Harvard, et l’auteur principal d’une étude publiée le 30 juin 2023, nommée “Chemically induced reprogramming to reverse cellular aging” (ou Reprogrammation chimiquement induite pour inverser le vieillissement cellulaire, en français).

Dans cette étude, il développe une nouvelle méthode utilisant des cocktails chimiques pour permettre aux cellules de se reprogrammer, dans le but de les rajeunir. Une méthode qui s’appuie sur les vastes connaissances positives sur la reprogrammation cellulaire, mais aussi sur les risques majeurs connus. A terme, ces cocktails chimiques pourraient être utilisés comme des pilules pour rajeunir, et sensiblement régénérer les organes et les tissus du corps humain.

Une pilule de rajeunissement, l’avenir de la reprogrammation cellulaire ?

L’étude introduit en des termes simples son objet : “Toute vie dépend du stockage et de la préservation des informations.”

Plus précisément, cette étude porte sur les eucaryotes, et sur leurs “deux principaux référentiels d’informations” : le génome et l’épigénome. Deux référentiels interdépendants “pour coordonner la production et le fonctionnement de la machinerie moléculaire”, mais qui sont pourtant “fondamentalement différents” :

“L’information génétique est numérique et largement cohérente dans toutes les cellules du corps tout au long de la vie d’un individu. En revanche, l’information épigénétique est codée par un système numérique-analogique moins stable, variant d’une cellule à l’autre et changeant en réponse à l’environnement et au fil du temps.”

Deux fonctionnements différents, qui sont étudiés en détail. En conséquence, une douzaine de « caractéristiques du vieillissement » sont maintenant connues pour contribuer à la détérioration et au dysfonctionnement des cellules à mesure qu’elles vieillissent, “de la levure aux mammifères” (d’un système minimaliste aux organismes vivants les plus complexes).

L’étude utilise aussi la théorie de l’information sur le vieillissement “qui propose qu’une diminution de l’information (et en particulier de l’information épigénétique) déclenche une cascade d’événements, notamment un dysfonctionnement mitochondrial, une inflammation et une sénescence cellulaire entraînant un déclin progressif de la fonction cellulaire et tissulaire, se manifestant par le vieillissement et les maladies liées à l’âge”.

La sénescence cellulaire est un arrêt permanent du cycle cellulaire destiné à la réparation des plaies, le remodelage des tissus et la prévention du cancer, en arrêtant la prolifération des cellules âgées et endommagées. La transition vers la sénescence cellulaire peut être initiée par une perte d’informations épigénétiques, ainsi que par un raccourcissement des télomères, des dommages irréparables à l’ADN. L’accumulation de cellules sénescentes avec l’âge favorise notamment l’inflammation, un phénomène connu pour être à l’origine d’une grande partie des pathologies du corps humain.

Une théorie qui se base sur de longues années d’expérimentations et d’observations, et notamment chez les souris, chez qui “les lésions cellulaires, telles que les cassures de l’ADN et l’écrasement des cellules favorisent la perte d’informations épigénétiques, ce qui peut conduire à une accélération du vieillissement et des maladies liées à l’âge”.

En 2006, une étude importante réalisée par Takahashi et Yamanaka a démontré que l’expression de quatre facteurs de transcription (des protéines nécessaires à l’initiation ou à la régulation de la transcription d’un gène) OCT4, SOX2, KLF4 et c-MYC (collectivement appelés « OSKM ») reprogramment le potentiel de développement des cellules adultes, leur permettant d’être converties en divers types de cellules.

Ces découvertes avaient été à l’origine du domaine de la reprogrammation cellulaire, et plusieurs études scientifiques se sont basées ensuite dessus pour parvenir à transformer des cellules “normales” en cellules “souches” : “{…} l’identité de nombreux types de cellules adultes de différentes espèces pouvait être effacée pour devenir des cellules souches pluripotentes induites, communément appelées iPSC.”

Mais reprogrammer les cellules avaient le plus souvent un effet secondaire très grave : le cancer. Un point qui a inhibé très fortement l’enthousiasme de cette première découverte, même si régulièrement des recherches sont publiées autour de souris reprogrammées (voir ici (août 2022) et (janvier 2023), par exemple), et que la recherche progresse.

Mais dans cette nouvelle étude publiée par Didier Sinclair et son équipe, les travaux de plusieurs laboratoires “ont confirmé qu’il est possible d’améliorer en toute sécurité la fonction des tissus in vivo par l’expression pulsée d’OSKM ou par l’expression continue d’OSK uniquement, sans c-MYC. Fin 2020, ces méthodes avaient déjà porté leurs fruits autour de travaux sur le nerf optique, améliorant la vision chez les souris âgées (voir).

Mais cette fois, de nombreux tissus, y compris le tissu cérébral, les reins et les muscles, ont été reprogrammés sans provoquer de cancer : “l’expression d’OSK dans l’ensemble du corps des souris prolonge leur durée de vie. L’ensemble de ces résultats est cohérent avec l’existence d’une “copie de sauvegarde” d’un épigénome jeune, qui peut être réinitialisé par reprogrammation partielle pour retrouver la fonction des tissus, sans effacer l’identité cellulaire ni provoquer de cancer.”

Une excellente nouvelle sur le plan de la recherche, qui se heurte ensuite à un second problème : comment appliquer cette méthode OSK à grande échelle dans un corps, qu’il s’agisse d’une souris, ou d’un humain ? Pour l’instant, “on utilise des méthodes telles que l’administration d’ADN par des virus adéno-associés (AAV) et l’administration d’ARN par des nanoparticules lipidiques”.

Mais “ces approches se heurtent à des obstacles potentiels à leur utilisation à grande échelle, notamment les coûts élevés et les problèmes de sécurité liés à l’introduction de matériel génétique dans l’organisme”.

La méthode EPOCH : “Une variété de nouveaux cocktails chimiques capables de rajeunir les cellules et d’inverser l’âge”

Alors, les scientifiques se tournent maintenant vers le “développement d’une alternative chimique” pour imiter les effets rajeunissants de l’OSK, qui permettrait de raccourcir les délais de développement de la médecine régénérative, et une réduction des coûts d’application à grande échelle.

Une méthode développée s’appuie sur des “cocktails chimiques capables de rajeunir les cellules et d’inverser l’âge” :

“Nous avons identifié une variété de nouveaux cocktails chimiques capables de rajeunir les cellules et d’inverser l’âge transcriptomique dans une mesure similaire à la surexpression d’OSK. Il est donc possible d’inverser certains aspects du vieillissement sans effacer l’identité cellulaire en utilisant des moyens chimiques plutôt que génétiques.”

Une méthode qui utilise donc de petites molécules pour inverser l’âge des cellules, que les scientifiques ont nommé la méthode EPOCH. Ils parlent également de “cocktails chimiques EPOCH”.

Résultats ? “Nous avons identifié six cocktails chimiques qui, en moins d’une semaine et sans compromettre l’identité cellulaire, restaurent un profil de transcription jeune à l’échelle du génome et inversent l’âge transcriptomique. Ainsi, le rajeunissement par inversion de l’âge peut être réalisé, non seulement par des moyens génétiques, mais aussi par des moyens chimiques.”

Et ces cocktails chimiques restaurent l’intégrité des compartiments cellulaires (compartimentation nucléocytoplasmique ou NCC) et le cloisonnement des protéines, et pourraient donc offrir des pistes thérapeutiques pour améliorer la santé des personnes âgées et des patients souffrant de maladies liées à l’âge dans des types de cellules et de tissus spécifiques : “Les cocktails C1 à C6 ont réduit l’âge biologique et chronologique en dessous de celui des populations cellulaires non sénescentes, ce qui indique que les cocktails sont puissants et capables d’inverser les dysfonctionnements cellulaires associés à la sénescence.”

Des expériences sont en cours pour comprendre l’effet des cocktails sur divers types de cellules provenant d’individus jeunes et âgés, dont les résultats nous informeront sur la mesure dans laquelle ils correspondent aux effets bénéfiques généraux d’OSK(M) sur les cellules et les tissus. Le cocktail chimique qui a induit le rajeunissement le plus puissant est le VC6TF.

Enfin, l’étude conclut de manière prudente : “Savoir si la reprogrammation chimique peut atténuer ou inverser d’autres caractéristiques du vieillissement nécessite des explorations supplémentaires. Surtout compte tenu des effets toxiques de l’expression des quatre facteurs Yamanaka (OSKM) chez les souris “il est essentiel que la sécurité des cocktails de rajeunissement chimique soit rigoureusement testée sur des modèles animaux mammifères avant de lancer des essais sur l’homme”.

Et cette étude ouvre des portes, et ses auteurs s’enthousiasment des progrès technologiques actuels et de leurs apports pour la recherche du futur, et en particulier l’intelligence artificielle :

“Les tests développés dans cette étude, associés à la robotique et à la puissance croissante de l’intelligence artificielle, faciliteront des études de plus en plus vastes pour identifier des gènes, des produits biologiques et des petites molécules qui inversent en toute sécurité le vieillissement chez les mammifères, et étant donné que le vieillissement est le plus grand contributeur aux maladies et aux souffrances humaines, ces avancées ne peuvent venir assez rapidement.”

Peut-on redevenir un bébé, voir un foetus, avec des pilules pour rajeunir ?

Une dernière question légèrement humoristique pour conclure cet article sur cette étude majeure : Peut-on redevenir un bébé avec des pilules pour rajeunir ? Voir un foetus ?

Une question pas si saugrenue, car l’équipe (et d’autres scientifiques avant eux) s’est posé une question équivalente, au niveau cellulaire. Et la réponse est non : “À ce jour, nos expériences avec les méthodes de rajeunissement génétique et chimique indiquent que les cellules possèdent une barrière les empêchant de devenir trop jeunes ou de perdre complètement leur identité”. Avec des piules pour rajeunir, on ne rajeunira donc que jusqu’à un certain point… Et c’est déjà pas mal !

Lien vers l’étude : https://www.aging-us.com/article/204896/text