C’est une bille de diamant qui est au coeur de la première expérience de fusion nucléaire réussie !
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La fusion nucléaire, ce “graal” encore inaccessible
Concrètement, que recherche-t-on quant on veut produire une réaction de fusion nucléaire ? C’est simple : que l’énergie dégagée par la réaction soit supérieure à la puissance utilisée pour déclencher cette réaction. Un ratio positif, en somme. Et donc derrière de générer une énergie électrique abondante mais surtout totalement décarbonnée – il n’est pas ici question de faire l’inventaire des externalités négatives du nucléaire. Une source d’énergie qui est la même que celle qui alimente les étoiles, que celle qui alimente notre Soleil !
Depuis des décennies, la recherche et la science travaillent à atteindre de point, considéré comme un “graal”. Des équipes scientifiques dans le monde entier travaillent et s’investissent dans cette direction, avec pour but final : construire une centrale électrique à fusion fonctionnelle. Car au-delà du seul procédé de fusion, il faut aussi trouver des matériaux capables de supporter l’énergie surpuissante émise par le processus en lui-même. Cette recherche prendra encore de nombreuses années, et des dizaines de milliards d’investissements publics et privées.
Une sphère en diamant au coeur de la fusion nucléaire
Dans un article de la BBC publié le 28 février 2023, on apprend que des scientifiques du “National Ignition Facility” (NIF) en Californie ont fait un grand pas vers cet objectif de fusion, il y a un peu moins de trois mois. Le NIF fait partie du Lawrence Livermore National Laboratory (LLNL).
Le lundi 5 décembre 2022, 1h03 du matin très précisément, les scientifiques du NIF ont pointé un laser à 192 faisceaux – le laser le plus puissant du monde – sur un cylindre contenant une minuscule sphère en diamant de “carburant nucléaire”.

Ce tir de laser surpuissant a créé des températures et des pressions immenses, et a alors déclenché une réaction de fusion nucléaire ! Et si le NIF avait déjà tenté cette expérience auparavant, cette fois, l’énergie dégagée par la réaction était supérieure à la puissance laser utilisée pour la déclencher. Une première, qui permet de rêver d’atteindre et maitriser la fusion peut-être plus vite que prévu.
Mike Farrell, vice-président de la technologie de fusion inertielle chez General Atomics (le plus grand partenaire industriel de LLNL) espère que ce grand pas en avant contribuera à favoriser la recherche sur ce domaine dans son ensemble :
“Cette expérience a changé l’opinion scientifique. L’allumage a toujours été considéré comme presque inaccessible, ou quelque chose qui ne pourrait arriver que dans 40 ans. Le résultat de décembre a été un révélateur.”
Après cette expérience réussie du 5 décembre, le prochain défi pour le NIF (et ses partenaires) sera d’améliorer la technologie à tous les niveaux, afin de reproduire et d’améliorer la réaction, et d’avancer vers la fusion nucléaire, mais aussi sa maitrise, et son utilisation en condition réelle.
Un matériau critique, parmi d’autres
L’un des composants clés du NIF est une capsule sphérique de diamant synthétique, qui fait le diamètre d’un petit grain de poivre, et dans laquelle les scientifiques insèrent le “carburant”. Les propriétés intrinsèques de cette sphère en diamant sont cruciales pour parvenir à une expérience de fusion concluante. La sphère en elle-même doit être parfaitement lisse, et exempte d’impuretés, et toute anomalie pourrait anéantir la réaction recherchée.
Ces sphères de haute précision ne sont d’ailleurs pas conçues en Californie, mais en Allemagne, à Fribourg, par une entreprise nommée “Diamond Materials”. Une entreprise qui a mis des années de recherche et développement et d’expérimentations à parvenir à cette sphère pure de carbone. Le directeur général de Diamond Materials Christoph Wild explique d’ailleurs à la BBC : “Les exigences vis-à-vis des capsules sont très élevées. Nous (…) essayons de minimiser les défauts tels que les impuretés, les cavités ou les texture inégales.”
L’équipe de Diamond Materials, 25 personnes, fabrique ces diamants de synthèse par un procédé appelé “dépôt chimique en phase vapeur” : en superposant minutieusement de minuscules cristaux de diamant autour d’un noyau en carbure de silicium, et en les polissant à plusieurs reprises. Au cours de leurs longues années de développement de ces sphères, ils ont découvert que même “le polissage le plus méticuleux ne suffisait pas” car au niveau microscopique, la surface était encore “piquée et inégale”.
En travaillant avec des équipes californiennes de NIF, Diamond Materials a finalement découvert qu’ils pouvaient “glacer une capsule polie avec une nouvelle couche de cristaux de diamant” pour obtenir la “finition miroir” dont ils avaient besoin. Un process aussi long que difficile : il faut deux mois pour créer un lot de 20 à 40 sphères.
Lorsque ces billes de diamant arrivent au “Lawrence Livermore National Laboratory”, qui contrôle le NIF, le noyau de silicium est retiré et un minuscule tube de verre est alors utilisé pour remplir la sphère devenue creuse avec du deutérium et du tritium, deux types d’hydrogène lourds, qui alimentent la réaction de fusion nucléaire. Mike Farrell explique à la BBC : “Autour de cette pastille de combustible se trouve un cylindre d’or et d’uranium appauvri.” La troisième et dernière couche de la capsule est un microscopique cylindre en aluminium, qui sert à refroidir le contenu de la capsule avant la réaction.
Et la petite bille en diamant est alors prête à devenir l’énergie nucléaire d’une étoile.
Un autre aspect technologique crucial pour cette expérience est l’optique : “tout ce qui prend en charge la transmission, la détection ou l’utilisation de la lumière”. Comme le NIF utilise “le laser le plus puissant au monde”, l’ensemble des composants est soumis à des facteurs destructeurs (chaleur, énergie…), et des composants optiques sont endommagés à chaque fois que le laser est utilisé.
Mais Mike Farrell, encore, se montre résolument optimiste, et s’empresse de souligner à quelle vitesse les progrès peuvent s’accélérer après la percée initiale:
“Rappelez-vous, le premier vol des frères Wright a eu lieu en 1903 et le premier vol supersonique a eu lieu dans les années 1950. En 40 ans environ, beaucoup de choses peuvent progresser.”
La fusion nucléaire pourrait bien avoir franchi une étape décisive…!