Ayant des difficultés à obtenir le financement nécessaire pour poursuivre le développement de ses lentilles du futur, la start-up californienne Mojo Vision se restructure, et opère un pivot stratégique.
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Mojo Vision, une start-up prometteuse
Parfois, la technologie va vite, très vite. Le premier iPhone est sorti en 2007, et cinq ans plus tard seulement, Google proposait ses Google Glass, sa paire de lunettes proposant de la réalité augmentée directement sur les verres, ainsi que diverses autres fonctions.
Mais les Glass n’ont pas toujours eu une bonne réception par le grand public, bien au contraire, et les problématiques de vie privées qu’induisent des milliers de caméras filmant en permanence étaient nombreuses, et légitimes. En 2015, trois ans seulement après le lancement des Glass, Google stoppe le projet, et met ses lunettes au placard.
Pourtant, une technologie futuriste d’affichage tête haute, sur des lunettes ou un casque, semble toujours un rêve prometteur, largement ancré dans l’imaginaire collectif par des décennies de science-fiction. Alors, d’autres entreprises prennent le relai, comme le réseau social Snapchat et ses lunettes Spectacles, lancées en 2016, ou plus récemment Meta (Facebook, Instagram, Whatsapp), qui lançait en 2022 les Stories, en partenariat avec la célèbre marque Ray-Ban. Meta met également régulièrement à jour sur le marché son casque de VR Oculus devenu Quest.
Mais une technologie semblait plus encore et prometteuse, et futuriste : les lentilles de contact connectées. Directement posées sur les yeux, ces lentilles high-tech promettaient le meilleur du monde de la Réalité Augmentée (AR) voir de la VR, sans les inconvénients des lunettes et du casque : poids, encombrement, esthétique, etc…
Une technologie autrement plus difficile à mettre au point : comment miniaturiser et intégrer l’ensemble du spectre technique nécessaire à un affichage de qualité sur une surface aussi restreinte qu’une lentille de contact, d’à peine plus d’un centimètre de diamètre. Sans parler des problématiques de batterie, de réseaux, de sécurité, d’entretien…
Du rêve à la réalité
Pourtant, le 28 juin 2022, la société Mojo Vision publiait sur son blog un article au titre évocateur : “Aujourd’hui, j’ai porté Mojo Lens… et j’ai vu le futur”. Le PDG de l’entreprise, Drew Perkins, venait de réaliser une première salve d’essais du prototype de lentille connectée sur lequel travaille Mojo Vision depuis 2015. Sur cette lentille, Mojo a placé un écran MicroLED, ayant une densité incroyable 14 000 pixels par pouce (PPP ou PPI en anglais, pour pixel per inch). La lentille comprend également des micro-batteries chargeables sans fil, un gyroscope, et un accéléromètre. Une lentille aux fonctionnalités multiples, et qui permet même d’être utilisée les yeux fermés !
Si vous voulez voir le dirigeant de Mojo Vision, Drew Perkins, portant cette incroyable lentille futuriste sur son oeil, voici la vidéo à consulter :
Un peu plus tôt dans l’année, en janvier 2022, Mojo Vision réalisait une très belle levée de fonds, de 45 millions de dollars, qui devait accompagner encore son développement et lui permettre d’aboutir à un produit fini, potentiellement apte à passer devant différentes instances, pour avancer vers une lentille connectée commercialisable.
Et pourtant, on apprend le 6 janvier 2023, en marge du CES de Las Vegas où l’entreprise avait ses habitudes, dans un nouveau billet publié sur son site, que Mojo Vision compte réduire ses effectifs de 75%, et suspend la production de lentilles de contact connectées ! Un véritable coup de tonnerre, à peine six mois après cette première démonstration prometteuse du CEO.
Il semble que la première cause de ce plan de restructuration soit les difficultés qu’a la société californienne à trouver de nouveaux financements – encore. Dans son billet, Drew Perkins en parle directement : “Mojo Vision n’a pas été en mesure de trouver un financement privé supplémentaire pour poursuivre le développement de Mojo Lens” dans un contexte “d’effondrement de l’économie mondiale” et de “marchés de capitaux extrêmement tendus”. En cause aussi “le potentiel de marché encore à prouver pour les produits AR avancés”, qui marque l’absence tant d’usages que d’adoptions de la réalité augmentée (AR) dans le quotidien des gens, dix ans après les premières Google Glass. Et alors que Meta et son métaverse brûle des millards de dollars dans la réalité virtuelle (VR) sans parvenir à faire venir qui que ce soit dedans, notamment.
Philosphe, mais fataliste Drew Perkins explique :
“Mojo avait l’objectif audacieux de réinventer l’informatique personnelle. Mojo Lens est une réalisation technique et médicale monumentale dont d’autres n’ont fait que rêver.
Bien que nous n’ayons pas encore eu la chance de la voir aboutir et d’atteindre son plein potentiel sur le marché, nous avons prouvé que ce qui était autrefois considéré comme de la science-fiction peut devenir une réalité technique.”
Alors, la start-up opère un pivot stratégique, et va désormais concentrer ses efforts sur sa technologie propriétaire d’écran Micro-LED. Mojo Vision explique concentrer les ressources de l’entreprise vers le développement et la commercialisation de cette technologie d’affichage “de classe mondiale”. Drew Perkins se montre tout particulièrement élogieux de cette technologie qui devient donc le business model principal de son entreprise :
“L’écran Mojo Vision 14K PPI est l’écran dynamique le plus petit et le plus dense jamais conçu, et la plate-forme technologique Micro-LED qui le sous-tend est suffisamment puissante et flexible pour servir une large gamme de applications, des appareils portables de nouvelle génération jusqu’aux futurs téléviseurs et murs vidéo.”
Le CEO parle même d’un colossal marché qu’il estime à 160 milliards de dollars, sans que l’on puisse s’avoir sur quelles bases il s’appuie pour avancer ce montant.
Mojo Vision ne ferme néanmoins pas totalement le projet de lentille connectée, expliquant croire “fermement qu’il y aura un futur marché pour Mojo Lens” et qu’ils prévoient “d’accélérer le moment venu”, mais préfère pour l’instant “ralentir” ses efforts dessus.
Alors, si Mojo Vision (qui pourrait peut-être être amené à changer de nom avec ce pivot stratégique de son business model) venait à commercialiser massivement sa technologie Micro-LED, on peut supposer que les fonds générés pourraient permettre à la start-up de se tourner de nouveau activement sur ses lentilles connectées du futur. La société serait forte également de l’avancement global des technologies nécessaires (réseaux, batterie) et d’une adoption potentiellement élargie de la technologie AR.
Alors, pivot provisoire, ou fin du rêve des lentilles connectées d’une société transhumaniste ?